Pourquoi certains pays ont su transformer l’aide internationale pour se développer, tandis que les pays africains échouent plus de 60 ans après les indépendances ?
Malgré des décennies d’aide internationale, la majorité des pays africains affichent encore des indicateurs socio-économiques alarmants. À l’inverse, certains pays d’Asie comme la Chine, le Vietnam ou la Corée du Sud ont utilisé cette même aide comme levier de transformation structurelle.
Cet article interroge les raisons profondes de ces trajectoires divergentes. À travers une approche comparée, il met en évidence le rôle crucial de la planification stratégique, des institutions, de la souveraineté budgétaire et de la capacité d’appropriation dans la réussite ou l’échec de l’aide au développement.
- Introduction
Plus de soixante ans après la vague des indépendances africaines, le constat est paradoxal : l’Afrique demeure la région la plus aidée au monde, et simultanément l’une des moins industrialisées. En 2022, l’Afrique subsaharienne a reçu près de 47 milliards USD d’aide publique au développement (APD), soit environ 30 % de l’aide mondiale (OCDE, 2023).
Pourtant, les défis structurels persistent : pauvreté chronique, fragilité institutionnelle, faible diversification économique. Par contraste, des pays d’Asie de l’Est ou d’Asie du Sud ont connu une croissance accélérée, en s’appuyant, entre autres, sur l’aide internationale.
Quelles sont les variables qui expliquent cette divergence ? Pourquoi certains pays, recevant eux aussi des aides, ont-ils réussi à s’en émanciper ? Cette étude propose une analyse comparative, historique et institutionnelle des usages de l’aide dans les pays émergents et en Afrique.
- Historique de l’aide internationale : Afrique et pays émergents
2.1. L’aide aux pays asiatiques : un outil stratégique
La Corée du Sud, au lendemain de la guerre de 1953, dépendait entièrement de l’aide américaine. Cette aide a été orientée vers :
- L’industrialisation légère (textile, construction navale),
- L’éducation technique,
- Les infrastructures logistiques (ports, routes).
La Chine, à partir de 1980, a reçu des prêts et des subventions multilatérales (Banque mondiale, ADB, ONU) pour :
- Moderniser l’agriculture,
- Améliorer les capacités énergétiques,
- Réformer les institutions économiques.
Dans ces cas, l’aide a été intégrée à une planification économique nationale claire, et soumise à des exigences étatiques fortes.
2.2. L’aide en Afrique : une dépendance chronique
Dès les années 1960, les pays africains ont reçu massivement de l’aide bilatérale (France, Royaume-Uni, États-Unis) puis multilatérale.
Dans les années 1980, l’effondrement des prix des matières premières et la crise de la dette ont conduit à l’imposition des programmes d’ajustement structurel (PAS) du FMI et de la Banque mondiale.
Depuis les années 2000, l’aide est recentrée sur les Objectifs du Développement Durable (ODD), avec un focus sur la santé, l’éducation et la gouvernance.
Mais contrairement aux pays asiatiques, l’Afrique a très peu intégré l’aide à un processus endogène de transformation structurelle.
- Les clés de la réussite : comparaison des trajectoires
3.1. Une vision stratégique et planificatrice
Dans les pays émergents, on assiste à une planification de plans quinquennaux clairs et une centralisation des décisions avec pour objectif l’industrialisation et la montée en puissance des services sociaux. Dans les pays africains, on assiste plutôt à des plans fragmentés, influencés par les bailleurs avec pour objectif, la gestion des urgences et un rôle passif de l’Etat.
Ex. : Le Vietnam a canalisé l’aide vers les zones économiques spéciales, alors que plusieurs pays africains ont vu leur politique agricole dictée par des bailleurs durant les PAS.
3.2. Institutions fortes et discipline technocratique
Corée du Sud et Chine : haute technocratie étatique, coordination intersectorielle, lutte contre la corruption.
Afrique : bureaucraties faibles, politisation de l’administration, fuites de capitaux, gestion clientéliste de l’aide.
3.3. Appropriation technologique et savoir-faire local
Asie : aide orientée vers le transfert de technologies, la formation d’ingénieurs, le développement industriel.
Afrique : prédominance de l’aide humanitaire et sociale, faible lien avec les capacités productives locales.
3.4. Maîtrise des conditionnalités
Pays asiatiques : acceptent l’aide à leurs conditions, refusent les conditionnalités jugées nocives.
Afrique : adopte souvent des réformes imposées par les bailleurs, parfois contre-productives (ex : privatisation de services essentiels, suppression de subventions agricoles…).
- L’aide comme béquille ou tremplin ?
4.1. Quand l’aide devient une rente
L’aide alimente des systèmes de rente et de dépendance, où les élites administratives se spécialisent dans la négociation de projets plus que dans la gestion du développement.
Elle crée une économie politique de l’attentisme, où le pilotage se fait en fonction de l’agenda des bailleurs.
4.2. Quand l’aide devient un levier
Dans les cas asiatiques, l’aide n’est qu’un élément secondaire d’un processus national de transformation.
Elle sert de catalyseur temporaire, rapidement remplacé par des ressources fiscales nationales, des exportations industrielles et des investissements privés.
- Vers un nouveau paradigme pour l’Afrique ?
Pour sortir de la logique d’échec, plusieurs pistes émergent :
a. Recentrer la planification autour de priorités productives
- Développement de chaînes de valeur locales,
- Réindustrialisation régionale,
- Valorisation du capital foncier, agricole et humain.
b. Mobiliser les ressources internes
- Réforme fiscale,
- Lutte contre la fraude et la fuite des capitaux,
- Création de banques publiques de développement.
c. Rééquilibrer le rapport avec les bailleurs
- Refuser les conditionnalités qui affaiblissent l’État,
- Négocier l’aide comme un partenariat stratégique, non une assistance.
d. Investir massivement dans l’éducation technique
- Former des ingénieurs, des techniciens, des planificateurs,
- Créer des centres d’innovation locale.
- Conclusion
L’aide internationale n’est pas, en soi, un facteur de réussite ou d’échec. Ce sont les institutions, la vision stratégique et la capacité à s’en saisir qui font toute la différence. Les pays asiatiques ont utilisé l’aide comme un outil temporaire de souveraineté renforcée.
En Afrique, elle est trop souvent devenue un substitut permanent à l’action étatique, un amortisseur sans transformation.
L’Afrique peut encore inverser la tendance. Mais cela suppose un changement de paradigme : passer d’un État assisté à un État stratège, et d’une aide subie à un partenariat maîtrisé.
Nouvou Berte
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