La corruption est une réalité incontournable, hier comme aujourd’hui. La plupart des Guinéens considèrent qu’elle est la cause majeure des nombreux maux dont souffre notre cher pays, riche en ressources naturelles, mais paradoxalement très pauvre. La corruption généralisée au sein de l’administration guinéenne constitue un frein majeur au développement.
Alors que les uns et les autres réclament davantage de transparence, d’efficacité et de justice sociale, la corruption continue de miner les fondements mêmes de l’État. Répandue dans tous les secteurs de l’appareil public, elle constitue un obstacle majeur au développement équitable et à l’instauration d’une gouvernance responsable.
Malgré les efforts affichés par certains régimes pour combattre ce fléau, les résultats concrets restent insignifiants. L’arrivée du Général Mamadi Doumbouya à la tête de l’État a été accompagnée d’un discours et d’actes ciblés sur la lutte contre la corruption et les détournements de fonds publics, notamment par la création de la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF).
Pourtant, la corruption continue de prospérer. Malheureusement, la situation est inquiétante : chaque jour, de nouveaux dossiers apparaissent, montrant que la corruption continue. La Guinée ne serait-elle pas en réalité, prise en otage par ce fléau ? Cette problématique mérite une analyse approfondie afin de mobiliser aussi bien les gouvernés que les gouvernants à remédier à cet obstacle majeur au développement.
Une corruption enracinée et multiforme
À l’image de nombreux pays en développement, la Guinée est confrontée à une corruption systémique, ancrée dans les pratiques administratives quotidiennes. Loin d’être un phénomène isolé, elle se manifeste sous des formes multiples, invisibles mais profondément destructrices. Elle est devenue une véritable culture, au point que l’accession à un poste de responsabilité est souvent perçue comme un accès assuré à la richesse.
Il convient de comprendre que la corruption peut revêtir diverses formes selon les contextes et les circonstances : pot-de-vin, détournement de fonds publics, extorsion institutionnalisée etc…
1. Le pot-de-vin (un passage obligé en Guinée)
Dans l’imaginaire collectif guinéen, il est devenu presque « normal » de devoir payer pour obtenir un service public : acte de naissance, permis de conduire, passeport ou toute autre autorisation. Cette informalité tarifée crée une barrière d’accès aux droits élémentaires, renforçant les inégalités sociales. Un agent public exige souvent une compensation avant ou après avoir rendu un service censé être gratuit. Cette pratique place les plus vulnérables dans une position de grande difficulté, sans réelle voie de recours, d’autant que la complicité vient souvent des échelons supérieurs.
À l’origine, les faibles salaires et leur irrégularité poussent nombre de fonctionnaires à chercher des revenus parallèles. Dans des secteurs tels que les douanes, la police, les impôts ou les greffes, ces « frais » non officiels deviennent des mécanismes de survie banalisés.
1. Le détournement de fonds publics
Autre facette majeure de la corruption : le détournement de ressources publiques. Ce fléau prive la population de services essentiels. Les budgets destinés aux écoles, hôpitaux ou infrastructures routières s’évaporent dans des circuits opaques, au profit d’intérêts privés. Il ne s’agit plus de dérapages individuels, mais d’un véritable système parallèle d’appropriation illicite. Si les petits corrupteurs se situent souvent parmi les agents de terrain, les grands détournements se font au sommet de la pyramide, impliquant des millions de dollars.
Aucun fonctionnaire ne vit décemment de son salaire ; le détournement est devenu le moyen principal d’enrichissement. Il est impossible de réussir ou de réaliser de grandes infrastructures (villa ou immeuble privé) sans passer par ces détournements. Nombreux sont ceux qui entrent en politique uniquement pour s’enrichir.
Pour y remédier, il est impératif qu’une loi anticorruption sévère soit adoptée, afin de punir efficacement les malversations des « voleurs en col blanc ».
La plupart de ceux qui ont occupé de hauts postes de responsabilité sont très riches, possédant des immeubles, des parcelles et d’autres biens partout. Sans la corruption, il n’y aurait pas de riches en Guinée. Un fonctionnaire payé 3 millions de francs guinéens peut avoir un immeuble évalué à 5 milliards et une voiture de 500 millions. Il est évident qu’il y a un problème quelque part. Chacun devrait se regarder dans le miroir et reconnaître qu’il est un vampire qui suce le sang du peuple pour son intérêt personnel.
2. L’extorsion institutionnalisée
L’extorsion institutionnalisée désigne une forme d’abus où l’agent public exige une contrepartie souvent financière pour accomplir un acte qui devrait être gratuit. Contrairement au pot-de-vin, où l’initiative vient parfois de l’usager, ici c’est l’agent qui abuse de son autorité pour imposer des exigences indues ou créer des obstacles délibérés, contraignant ainsi les citoyens à se soumettre à ses intérêts personnels. Cette pratique, bien que parfois discrète, est particulièrement perverse puisqu’elle viole la confiance fondamentale entre les citoyens et leurs institutions.
Des institutions de contrôle affaiblies
Les organes de contrôle, tels que l’Inspection Générale d’État, la Cour des Comptes ou les services d’audit, sont trop souvent sous-équipés, mal financés ou instrumentalisés politiquement. Dans ce contexte, les sanctions se font rares, les enquêtes sont souvent superficielles, et les auteurs jouissent d’une impunité choquante qui fragilise davantage l’autorité de l’État.
Cette défaillance nourrit une culture de tolérance à l’égard de la corruption, perçue comme un « moindre mal » ou une pratique « normale ». Ce qui est regrettable, c’est que certains inspecteurs d’État sont eux-
mêmes plus corrompus et complices des agents qu’ils sont censés contrôler. Ceux qui devraient lutter contre la corruption en deviennent parfois les principaux obstacles.
Favoritisme, népotisme et clientélisme rampant
L’un des maux les plus insidieux est le favoritisme et le népotisme. Trop souvent, les postes stratégiques sont attribués en fonction de loyautés politiques, d’appartenance ethnique ou de relations personnelles, au détriment des compétences réelles. Cette logique clanique sacrifie la méritocratie, affaiblissant ainsi l’administration.
De nos jours, les flatteurs et démagogues (certains artistes, blogueurs, profiteurs) accumulent richesses et privilèges, tandis que les enseignants peinent à s’acheter un livre. Louer un chef permet d’obtenir une voiture ou une villa gratuitement de nos jours, alors que ceux qui pourraient réellement faire avancer le pays sont marginalisés et oubliés.
En Guinée, devenir fort ne requiert plus d’efforts ; le pays est devenu un centre commercial de la démagogie. L’argent circule abondamment, mais les citoyens souffrent de la faim, du manque d’eau et d’électricité. Les ressources gaspillées dans la démagogie pour le chef auraient pourtant pu servir à construire écoles, centres de santé et infrastructures fondamentales.
En plus, une autre pratique s’étend également à la gestion des marchés publics, où les appels d’offres sont attribués sans transparence, souvent à des entreprises fictives ou proches du pouvoir, en échange de commissions occultes. Cela engendre inefficacité et gaspillage massif des ressources publiques.
Une formation insuffisante à l’éthique administrative
À cela s’ajoute un déficit majeur de formation des agents publics en éthique, transparence et responsabilité. Beaucoup ne reçoivent aucune formation déontologique. Les écoles de formation (en droit ou en administration publique) n’insistent pas assez sur ces valeurs essentielles.
Il en résulte une fonction publique dépourvue de repères éthiques solides, où l’intérêt personnel prime systématiquement sur l’intérêt général. L’éthique administrative devient une notion floue, voire marginale. En Guinée, beaucoup préfèrent leur enrichissement personnel à la survie du pays, le patriotisme est mort…
La lutte contre la corruption : un combat systémique
La lutte contre la corruption ne saurait se limiter à la sanction ou à la dénonciation de quelques agents indélicats. Elle exige une réforme structurelle profonde des institutions et des mécanismes de gouvernance. Ce combat doit empêcher la corruption de s’installer durablement, plutôt que de se limiter à dénoncer des coupables dans des logiques politiques ou de règlements de comptes (de Conté à Doumbouya).
Parmi les mesures indispensables figurent la modernisation de l’administration, la professionnalisation des agents publics, la transparence budgétaire, le renforcement du contrôle citoyen, et surtout une volonté politique ferme. Tant que la fonction publique sera perçue comme un privilège plutôt qu’un service, la Guinée restera prisonnière d’un modèle d’État inefficace et injuste.
Il est temps d’agir, non seulement pour punir, mais pour reconstruire la confiance entre l’État et ses citoyens.
Le rôle clé des acteurs démocratiques
Dans une démocratie saine, partis politiques, médias et société civile jouent un rôle fondamental de surveillance, d’alerte et de pression sur les pouvoirs publics. En Guinée, ces acteurs sont souvent mal structurés, sous-financés ou soumis à des pressions politiques et sécuritaires. Faute de liberté d’expression réelle et d’accès à l’information, les partis politiques sont fragmentés, la presse indépendante peine à enquêter, et la société civile demeure marginalisée.
Il est impératif que gouvernants et gouvernés prennent pleinement conscience de l’enjeu que représente la corruption, afin de mettre en œuvre des solutions efficaces. La lutte contre ce fléau est un préalable essentiel à un développement harmonieux et durable.
Enfin, il apparaît clairement que la lutte contre la corruption en Guinée ne saurait être réduite à une simple volonté politique déclarative ni à des opérations ponctuelles à visée médiatique. Elle requiert une transformation profonde des mentalités, des institutions et des pratiques administratives.
La refondation de l’État guinéen doit passer par l’instauration d’une véritable culture de la redevabilité, la restauration de la méritocratie, et le renforcement effectif des contre-pouvoirs. Sans une mobilisation collective, associant les citoyens, les acteurs politiques, la société civile et les institutions de contrôle, la Guinée restera prisonnière d’un système clientéliste et prédateur. C’est donc un sursaut éthique et structurel qui s’impose, si l’on veut rompre durablement avec ce cycle infernal et ouvrir la voie à un développement inclusif, équitable et durable.
Dr. Ibrahima CHÉRIF
Chercheur en Sciences Politiques et en Administration Publique.
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